Interview
Le lien entre épigénétique et psychogénéalogie avec le Dr. Natalio Vita
Interview du Dr. Natalio Vita, docteur en biochimie et chercheur en biologie moléculaire et parrain de la Fédération Française de Psychogénéalogie et Véronique Cézard, directrice de l'Institut de formation Génomm et présidente de la Fédération Française de Psychogénéalogie
Résumé : Est-ce que dans les cellules, il ne circulerait pas autre chose que la couleur des cheveux et des yeux ? Est-ce que les émotions vécues par des traumatismes non réglés pouvaient circuler ? Le Dr. Natalio Vita, docteur en biochimie et chercheur en biologie moléculaire est le parrain de la Fédération Française de Psychogénéalogie. Il nous aide à mieux comprendre le lien entre l'épigénétique et la psychogénéalogie.
Véronique Cézard : Natalio, est-ce que tu peux nous expliquer, de façon simple, le lien que tu fais entre l'épigénétique et la psychogénéalogie, l'outil que je pratique depuis des années ?
Natalio Vita : Tout le monde connaît la génétique. Les premières expériences faites par Mendel, avec ses petits pois, ont montré que des caractères génétiques se transmettent de génération en génération par le biais des molécules d'ADN, confinées dans les cellules, dans les noyaux des chromosomes. Mendel et ses collègues ont établi que des caractéristiques génétiques se transmettent à 100% via ces molécules. Quelques années plus tard, dans les années 1940, un généticien a démontré que certains caractères acquis d'une personne pouvaient aussi être transmis à sa descendance, sans mutation dans l'ADN. Par exemple, une pression ou un stress sur l'organisme peut, chez une souris, modifier son génome sans mutation dans l'ADN, mais par des modifications chimiques au niveau des protéines, qui sont ensuite transmises à ses descendants, jusqu'à la troisième ou quatrième génération.
Véronique Cézard : Si je résume, un traumatisme vécu par une souris peut faire évoluer un gène, comme une cicatrice, et cette cicatrice peut se retrouver sur plusieurs générations. Et chez l'homme, quand a-t-on commencé à vérifier cela ?
Natalio Vita : Chez l'homme, il y a eu des résultats montrant que des populations ayant subi un stress important, comme pendant l'Holocauste, ont vu leurs descendants développer des caractéristiques similaires à celles de leurs ancêtres, sans avoir vécu le même stress.
Véronique Cézard : Cela me rappelle Anne Ancelin Schützenberger, qui fut la première à parler de psychogénéalogie. Elle a observé que les descendants de personnes ayant vécu la guerre, sans l'avoir eux-mêmes vécue, avaient des peurs irrationnelles, comme la peur de manquer de nourriture ou de perdre leur foyer. Elle a supposé que des traumatismes non vécus pouvaient affecter les générations suivantes. Au départ, c'était une hypothèse, mais l'idée qu'il circule dans les cellules autre chose que la couleur des cheveux et des yeux, des émotions traumatiques, semble aujourd'hui se confirmer.
Natalio Vita : Ce que tu dis est important, car ces observations ont été confirmées par des études en laboratoire. Les personnes ayant vécu des traumas importants ont effectivement transmis des modifications à leur génome, non par mutation, mais par des modifications chimiques qui ont été retrouvées chez leurs descendants.
Véronique Cézard : J'ai aussi vu un reportage sur des jumeaux monozygotes, élevés séparément, qui avaient fini par être très différents physiquement et sur le plan de la santé. Bien qu'ayant le même génome à la naissance, il avait été prouvé que leur génome avait été modifié par leur environnement. Est-ce que cela signifie que le gène peut être influencé par l'entourage ?
Natalio Vita : Oui, en effet, ces modifications chimiques sur l'ADN peuvent faire qu'un gène soit exprimé chez l'un des jumeaux et pas chez l'autre, expliquant pourquoi ils peuvent développer des traits ou des pathologies différentes.
Véronique Cézard : En somme, nous évoluons tout au long de notre vie en fonction de notre vécu et de nos traumatismes, et cela peut se transmettre de génération en génération. L'outil de la psychogénéalogie prend tout son sens, car il permet de comprendre pourquoi certaines personnes ressentent des émotions comme la colère ou la tristesse sans en connaître la cause. Il est tout à fait logique que des traumatismes non résolus se répercutent à travers les générations.
Natalio Vita : Les études scientifiques récentes le confirment, et je pense que c'est une avancée importante pour mieux se connaître.
Véronique Cézard : Bien que nous ne devions pas vivre dans le passé, il est essentiel de comprendre ce qui s'est passé chez nos ancêtres pour mieux comprendre nos blocages actuels. Les traumatismes de nos parents et grands-parents créent des cicatrices que nous portons en nous. Merci beaucoup, Natalio.